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N'en v'la un drôle d'oiseau !

Suivant les régions, on la nomme judelle, macroule, morelle, blérie ou dans le midi on l'anoblie du nom de macreuse. La Foulque Macroule (Fulica atra) est aquatique et passe le plus clair de son temps dans les nappes d'eau découvertes et peu profondes les plus propices à son alimentation ; les étangs, les lacs, les cours d'eau à faible courant, mais aussi les eaux saumâtres ou salées des lagunes et des baies maritimes.




Avec son plumage gris anthracite, sa tête noire, son iris rouge et son bec blanc surmonté d'une plaque frontale blanche également, l'identification de la foulque est aisée. Autre caractéristique de cet oiseau, hors de l'eau, ce sont ses pattes hautes et vigoureuses dont les longs doigts griffus sont garnis de membranes festonnées. La foulque est lourde et maladroite, desservie par sa taille et son plumage noir très visible, elle ne craint pourtant pas de s'exposer aux prédateurs… et aux chasseurs. Elle nage et plonge sans virtuosité et n'aime pas faire usage de ses ailes durant la journée. Paradoxalement, elle couvre des vols de centaines, voire de milliers de kilomètres lors des migrations de septembre à novembre.





Alors qu'elle ne représente pas un gibier de choix, on trouve étonnement beaucoup d'appelants de foulques dans de nombreux pays et régions de France. Pourtant il n'est pas nécessaire d'attirer les foulques avec des leurres puisque, contrairement aux canards, elles volent bas et sur de courtes distances. Elles ont l'instinct grégaire, mais se rejoignent généralement à la nage. Comme elles sont particulièrement méfiantes et se réfugient dans les herbiers au moindre signe de danger, la présence d'appelants de foulques rassurent les canards pour venir se poser.




Il était une fois sur l'étang de Bolmon


Une chasse spéciale était celle des foulques de l’étang de Bolmon, dépendance de l’étang de Berre. En 1890, le propriétaire de Bolmon affermait cette chasse à une société au prix de 1 200 francs. La société organisait pendant l’hiver huit battues environ, annoncées par les journaux et auxquelles participaient de nombreux amateurs marseillais moyennant le paiement d’une cotisation.

A chaque battue prenaient part 35 à 80 pavillons ou bateaux, payant chacun 10 francs, montés par un certain nombre de chasseurs. Ces pavillons s’avançaient en ligne, barrant l’étang, au milieu d’une fusillade nourrie ; derrière elles 8 embarcations de ramasseurs relevaient le gibier partagé ensuite entre tous les pavillons. Dans les huit battues de 1891, par exemple, on tua 11.000 foulques et 80 canards ou autres oiseaux aquatiques et ces chiffres n’avaient rien d’inusité. A l’approche de Noël, une battue libre était due aux habitants de Marignane. La guerre de 1914-1918 a interrompu ces chasses qui ont repris en 1926.




Une battue aux foulques

Jean -Baptiste Samat


Le mot macreuses devrait, pour quelques uns, figurer en tête de ce chapitre. Mais nous n’avons pas voulu sacrifier à l’erreur si profondément enracinée chez nous, et qui consiste à donner aux foulques un nom qui appartient à une autre espèce d’oiseau bien différente.

La vraie macreuse que l’on voit quelquefois ici sur nos grands étangs, ou plutôt en mer, est un canard noir ou brun, elle a comme tous ses congénaires, le bec du canard, sa forme générale, et comme lui les pieds complètement palmés. C’est un palmipède.

La foulque, au contraire, est une poule d’eau ; elle possède, comme tous les oiseaux de la même famille, un bec moyen conique surmonté d’une plaque frontale. Ses pieds ne sont pas palmés, mais ses doigts sont munis de membranes séparées, en forme de disque, qui aident à la natation ; c’est un échassier. Entre la grosse poule d’eau et la foulque, il n’y a guère qu’une différence de taille.




Mais, que ce soit foulques ou macreuses, cela n’empêche pas nos chasseurs marseillais de se rendre, le plus souvent possible, sur l’étang de Bolmon, où ont lieu chaque année les battues aux foulques. Elles sont souvent très fructueuses, par exemple il y avait, le jour de la première chasse de la saison 1894-95, 3.621 foulques au tableau, ce qui était fort beau, ce résultat ayant rarement été atteint.

Autrefois, cette première avait lieu le dimanche qui précède le 25 décembre et ce gibier d’eau étant aliment maigre, était servi sur les tables au gros souper de la veille de Noël. Cette chasse était une solennité ; des cérémonies particulières accompagnaient la fête, et tout le pays était en liesse pendant un mois.


Aujourd’hui, la première battue se fait dès que le gibier, venant des pays du Nord de l’Europe, descend vers nos étangs pour y passer la mauvaise saison. C’est généralement vers la fin du mois d’octobre ou le commencement de novembre, après que se sont fait sentir les premières rigueurs du mistral d’automne. Ce jour-là il y en a des milliers sur l’étang. Un banc immense s’étend à perte de vue, couvrant l’eau d’un fourmillement de points noirs.

Je n’oublierai jamais la première chasse aux foulques à laquelle il me fut donné d’assister. C’était en fin octobre. Il y avait bien, ce jour-là, plus de cent mille pièces de gibier sur l’eau. Cette battue revêtait une sorte de solennité puisque c’était l’ouverture de la saison, et les chasseurs y étaient fort nombreux. Certes, ils n’ont pu oublier cette journée merveilleuse, et que tout concourait à rendre belle : L’abondance du gibier et l’idéale splendeur d’une belle journée d’automne.

Le rendez-vous était fixé au bord de l’étang, devant les cabanes qui se miraient dans les eaux calmes.


C’est là que nous arrivons, à 9 heures du matin, les jambes un peu enkilosées par une longue course en voiture. Nous mettons pied à terre sur une plage herbeuse où sont rangées, en file, plus de cent cinquante barques. La plupart des chasseurs sont venus comme nous en voiture de Marseille, des Martigues ou des localités environnantes. Il y a là un grand brouhaha, un va-et-vient confus de véhicules et de gens. Chacun hèle de son côté un batelier, on transporte d’immenses paquets de cartouches, d’énormes paniers de victuailles, des fusils de tous calibres et de tous systèmes.Quelques uns d’entre nous , armés d’une lorgnette, sondent les profondeurs de la brume matinale, et tâchent de découvrir le gibier massé en bandes immenses à quelques centaines de mètres du rivage.

Pendant ce temps, on tire les places au sort et on distribue à chaque chasseur un numéro d’ordre qui lui assigne son rang dans la battue, et l’on s’embarque. Peu à peu, tout le monde est casé, la flottille composée de cent bateaux environ se met en mouvement ; confusément chacun va rejoindre son poste. Nous profitons de cet instant de répit pour faire les derniers préparatifs. Les paquets de cartouches sont éventrés et les munitions disposées à portée de la main.

Mais tout ce bruit, tout ce mouvement, ont donné l’éveil aux foulques, on les entend pousser des cris d’effroi, quelques unes se lèvent et vont se reposer plus loin, les autres s’éloignent peu à peu à la nage, et au bout d’un instant, on ne les aperçoit plus que vaguement dans le lointain, elles ont gagné la queue de l’étang et c’est cette imprudente manœuvre qui sera leur perte. Enfin, après force cris, lazzis et plaisanteries, les bateaux sont rangés en ligne presque droite et perpendiculaire à la rive. La première anglade, ou première battue commence. C’est le moment solennel ; le soleil, jusque-là caché par la brume, apparaît radieux et éclaire vigoureusement la ligne des rabatteurs, mettant des points lumineux aux canons des fusils, et des «coups de vigueur» aux barquets, dont quelques-uns sont peints en couleurs violentes.

Bientôt à quelques cent mètres, une ligne noire apparaît : ce sont les foulques, et tout au loin, sur les bords de l’étang, d’innombrables chasseurs, venus de tous les points des environs, chaussés de leurs grandes bottes, attendent immobiles sur l’eau, les bêtes que la fusillade de tantôt leur enverra. En arrière à bonne distance, se tiennent les barques des ramasseurs, encore estompés dans une brume retardataire.



Tout est calme. Le jeu des rames a cessé, chacunes recueille : on n’entend plus que le bruit des batteries qu’on arme, et, sur l’étang, le cri plaintif des bêtes effarochées. à ce moment, une trompe résonne et de cent proitrines sort une immense clameur : En avant ! En avant !… Au fait, on commence à bouillonner d’impatience, et l’ordre s’en ressent. Quelques bateaux ont l’air de vouloir prendre le gibier à la course, mais, vite, on les rappelle à l’ordre : « Ohé ! du bateau blanc ! rentrez ! ».

Mais attention ! une foulque s’est décidée à prendre son envol vers les chasseurs, cent paires d’yeux et autant de canons la suivent, la pauvrette s’élance à tir d’ailes vers cet obstacle inconnu et dont elle croit se jouer. Hélas ! vingt détonations retentissent en même temps, et, criblée de plomb elle tombe. Tant pis pour ceux qui tirent sans épauler…— Et là-dessus un soleil de plomb. Les oreilles me sifflent, il semble que ma tête va éclater. Il ne reste bientôt plus de foulques en avant ; on voit seulement, par derrière, la nappe unie de l’étang, émaillée de points noirs, ce sont les pièces abattue ; quelques oiseaux démontés nagent encore, on les achève à coups répétés.

à un signal, on cesse le feu, et la ligne des rabatteurs, coupée au milieu, regagne son poste de départ en suivant les bords de l’eau. Il s’agit de recommencer la même opération pour les foulques qui ont réussi à franchir la terrible ligne.

Pendant ce temps, le tireur fatigué, mais satisfait, se repose, compte les coups tirés, casse une croûte, ou bourre une pipe.

Au bout d’un instant, les bateaux sont rentrés en ligne, et on repart comme le matin ; il est maintenant deux heures. Cette fois la fusillade est moins nourrie, on tire plus posément, car le chasseur dont l’épaule est fatiguée tourne sept fois son fusil dans la main avant de tirer. Cette seconde anglade est plus vite faite. Elle est égayée par la présence de quelques grèbes castagneux ou plongeons qui, avec leurs allures de clown, amusent la galerie ; apparaissant une seconde, puis, disparaissant encore, ils se rient des meilleurs tireurs qui ne peuvent pas les viser ; on parvient cependant à en abattre quelques-uns.


A quatre heures, la chasse est finie, les coups de fusils diminuent peu à peu. La ligne des chasseurs se disloque, et chaque bateau se dirige lentement vers le rendez-vous que l’on aperçoit au loin.

Tout est calme, le soleil baisse ; l’étang que pas un souffle ne ride, reflète dans ses eaux tranquilles les saules du rivage… Le chasseur, fatigué, se laisse prendre par cette douce poésie… comme saisi par cette immense tranquillité, il baisse la voix, et demeure silencieux, rêvant. On n’entend plus que le bruit des rames, et de temps en temps, un coup de feu…

Mais enfin, un appel a rompu le silence, on arrive, le bruit se fait brouhaha. On débarque, on se retrouve, on crie, on gesticule, on suppute le nombre de pièce abattues que l’on transporte par charretées. Les gardes les rangent en bon ordre sur la plage, et cela fait vraiment un tableau magnifique.

Pendant ce temps, on, on vient, on fait les derniers préparatifs de départ, tout en se racontant des prouesses étonnantes, des coups miraculeux…

Tou à coup, le directeur de la battue crie : il a été abattu trois mille six cent vingt et une macreuses. Il y en a 48 par bateau.

Une immense clameur, des tonnerres d’applaudissements lui répondent, c’est un résultat splendide, jamais pareil chiffre n’avait été atteint. Il faut cependant encore y ajouter toutes les pièces tuées sur les bords de l’étang et il y en a bien douze à quinze cents. Cela fait pas loin de cinq mille.



Et pourtant il n’y parait guère : la bande de foulques, que nous venions de décimer ce matin, est ce soir presque aussi compacte? On l’aperçoit encore vaguement dans l’éloignement, malgré la nuit qui commence à tomber : l’air est traversé de cris plaintifs et de bruits d’ailes battant la surface de l’étang. Pauvrettes ! C’est la tranquillité maintenant. Mais, hélas ! est-ce pour longtemps ? Demain peut-être vos rangs s’éclairciront encore, combien de vous reviendront au sol natal ! Combien reverront le doux nid laissé parmi les roseaux, au bord des larges canaux de Hollande ? Combien reverront les vertes prairies, les grandes vaches paisibles, et les immenses vols de vanneaux et de sansonnets tourbillonnant dans le ciel gris ?





Sources :

• Extrait de Les Bouches-du-Rhône, Encyclopédie Départementale sous la direction de Paul Masson (1928). Deuxième partie : Le bilan du XIXe siècle - Tome VII le mouvement économique : l’agriculture - Pages 753 & 754 - Par Paul Masson et Etienne Estrangin 1928 Marseille – Archives départementales des Bouches-du-Rhône.

• Paul Géroudet - Grands échassiers, Gallinacés , Râles d'Europe - Ed. Delachaux et Niestlé

• Jean-Baptiste Samat - Une battue aux foulques - Chasses de Provence (1896).

• Ludovic du Faux - Ces oiseaux qui ne volent jamais - 2022




Portrait de Jean-Baptiste Samat


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