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La fabuleuse histoire des appelants de Lovelock Cave.


Les archéologues Llewellyn Lemont Loud and Mark Raymond Harrington                                                    Crédit photo : © University of California - Photomontage :  © V. Proust  (Cherchez l'erreur)
Les archéologues Llewellyn Lemont Loud and Mark Raymond Harrington Crédit photo : © University of California - Photomontage : © V. Proust (Cherchez l'erreur)

«Dans le fond de la fosse, plusieurs grosses pierres avaient été abandonnées là, comme souvent pour dégager le chemin. Après avoir retiré la couche de natte et de vannerie, on a constaté que dessous un autre fond était dissimulé. On y trouva un tapis compressé formant un paquet volumineux, dans lequel était enveloppée une collection de onze leurres de canards, faits de roseaux, la plupart en plumes, peints et remarquablement conservés».


Préface de l'éditeur de "Lovelock cave by Llewellyn L. Loud and M. R. Harrington"



© Photo Daphne Palomar
© Photo Daphne Palomar

LES FOUILLES


C'est une histoire extraordinaire que tout passionné d'archéologie rêverait de vivre dans sa carrière. Alors remontons le temps, pour découvrir les plus anciens appelants, ceux réalisés par des amérindiens de la tribu des Païutes, il y a de cela plus de 2300 ans.


Il était une fois dans l'ouest de l'actuel état du Névada, au nord-est de Reno, une grotte nommée Lovelock cave, premier site majeur excavé, située sur une pente orientée à l’ouest des monts Humboldt. Occupée à l’origine par des indiens (3 à 4000 ans avant notre ère), elle est devenue un repère de chauves-souris pendant des millénaires. Ce site archéologique exceptionnel fut découvert la première fois par des récupérateurs de guano, et foulé sans précautions pour y extraire le précieux engrais, ainsi beaucoup d’artéfacts furent détruits.



Le site de Lovelock cave aujourd'hui - Photo DR
Le site de Lovelock cave aujourd'hui - Photo DR

En 1912, l'Université de Californie Berkeley apprend l’existence de Lovelock cave et missionne Llewellyn Lemont Loud (1879-1946) sur place. Loud y découvre un trésor culturel incroyable et récupère quelque 10 000 artefacts amérindiens. En 1924, de nouvelles fouilles sont réalisées (Loud et Harrington en 1929) et des milliers d’autres spécimens sont récupérés. Les fouilles reprendront sur le site à la fin des années 60 .

La collection de la grotte de Lovelock cave comprenait plusieurs milliers d’artefacts extrêmement fragiles (vannerie, natte, objets en peau, en bois, cordes…), onze leurres de canards en joncs, dont certains confectionnés avec des plumes de vrais canards, et également des objets en os, en pierre, des coquilles. Une grande partie de ces objets étaient stockés et cachés pour une utilisation future. Plus d’une quarantaine de ces caches ont été découvertes, et chacune semblait avoir une fonction particulière, comme celle qui était remplie de poissons séchés ou celle contenant le panier rempli d'appelants.

Détails de la réalisation des appelants en joncs - © Croquis V. Proust
Détails de la réalisation des appelants en joncs - © Croquis V. Proust

Les leurres, dont le corps était constitué de joncs liés par une cordelette de tule torsadée, étaient d'un réalisme saisissant. De longs roseaux étaient repliés, formant une queue arrondie, et reliés par deux cordelettes épaisses, à environ dix centimètres de la queue et dix centimètres plus bas sur le corps. L'excédent était ensuite taillé. La tête du leurre était constituée de joncs enroulés, imitant la tête et le bec du fuligule à dos blanc et fixés à l'extrémité. Des joncs fendus étaient repliés sur l'articulation pour former la poitrine du leurre. Huit des fuligules à dos blanc présentaient une coloration ocre rougeâtre sur la tête et un noircissement sur la poitrine. De véritables plumes blanches de fuligule à dos blanc étaient fixées au corps en collant les piquants sous les cordes torsadées et en les fixant avec du fil. L'un des leurres possède une courte ficelle sous la queue, qui pourrait avoir servi à attacher de petites pierres, soit rainurées en cercles, soit percées en leur centre, car certaines ont été retrouvées ensachées dans une autre fosse. En 1986, le Dr. Donald Tuohy du Nevada State Museum et le Dr. Kyle Napton de l'Institut de recherche archéologique de l'Université de Californie ont utilisé la dernière méthode de datation des antiquités pour les leurres de la fosse n°12. Vieux de 2160 ans (plus ou moins 180 ans), ils sont donc les plus anciens leurres connus pour la sauvagine.


Par ailleurs, quelque 5 000 coprolithes humains ont été recensés. Leurs analyses attestent que les utilisateurs de la grotte avaient une alimentation lacustre. Aucune indication ne prouve que ces occupants y vivaient en permanence. Probablement y séjournaient-ils pour s’abriter des intempéries ou des fortes chaleurs durant les saisons de chasse dans les marais en bordure du bassin de Humboldt ou dans les zones humides du bassin de Carson.







    En prolongeant le bras humain, l'atlatl permet de propulser à plus grande vitesse et à une plus longue portée un javelot ou une flêche. Son usage remonte à -23 000 ans, et on en trouve dans différentes régions du globe. Mais l'arc et la flèche sont devenus l'arme standard à la "période tardive" (entre -3000 et -1000 avant notre ère). La flèche était généralement un fût en bois de jonc, dont l'extrémité formait la pointe ou parfois fendu pour recevoir une pointe en pierre, mais parfois réalisée en bois d'une seule pièce.



LA CHASSE


Dans son livre Les premiers américains, Robert Clairborne raconte ainsi la chasse aux migrateurs. "Les hommes savent que dans quelques semaines les vols de canards migrateurs passeront dans le ciel, remontant vers le nord en direction des terrains de nidification, et le moment est venu pour les chasseurs d'entreprendre une expédition jusqu'à une petite mare enfermée dans un creux à quelque 20 km en aval, et dans laquelle se jette le ruisseau. L'étang est saumâtre mais non sans vie : les oiseaux migrateurs y font escale pour s'y nourrir de vers et de petits insectes.

Sur une falaise de grès dominant le lac, s'ouvre une petite grotte qui fut longtemps utilisée par les Indiens comme cachette où ils déposaient leur matériel trop lourd ou trop encombrant à transporter au cours de leur long voyage annuel. Les hommes disposent maintenant sur l'eau un groupe de canards "appelants" parfaitement imités. Ces leurres sont faits de roseaux liés ensemble par des fibres végétales et recouverts de véritables plumes de canards.

Leurre confectionné avec des plumes liées sur une forme en joncs.                                               © Illustration : V. Proust
Leurre confectionné avec des plumes liées sur une forme en joncs. © Illustration : V. Proust

Jour après jour, les chasseurs attendront chaque matin et chaque soir à l'affût dans les touffes de roseaux qui garnissent la berge jusqu'à ce que, enfin, un vol de canards ait repéré les appelants et se pose sur l'étang pour se nourrir. Au moment où les oiseaux nagent vers leurs faux congénères, les hommes se dressent soudain et lancent leurs javelots. La pluspart des canards s'envolent aussitôt en désordre mais une demi-douzaine de volatiles flottent à la surface ; ils seront ramenés au rivage par les chiens qui recevront les tripes des oiseaux en récompense. (…/…) Lorsque le dernier vol de canards est passé, les chasseurs rangent à nouveau leurs appelants dans leurs cachette."



Embarcation en roseaux sur le lac Pomo - Photo Edward S. Curtis
Embarcation en roseaux sur le lac Pomo - Photo Edward S. Curtis

Beaucoup de choses ont été écrites sur les techniques et habitudes de chasse à la sauvagine des amérindiens, et souvent, sans la prudence scientifique nécessaire. Mais en réalité nous ne savons que très peu de choses à ce sujet. Par exemple, il serait intéressant de comprendre si ils chassaient sur le lac avec des embarcations en roseaux, s'ils utilisaient des filets ou des pièges pour attraper les oiseaux ou comment ils utilisaient les appelants. Bien que les premiers explorateurs blancs n'aient trouvé aucune trace d'embarcations, ils ont vu les Païutes en utiliser, fabriquées à partir de bottes de joncs maintenues par des liens. Même si à l'époque les chasseurs étaient plus résistants au froid que nous ne le sommes aujourd'hui, il s'avère peux vraisemblable qu'ils restaient debout dans le marais pendant des heures, surtout après que les premiers fronts froids aient déclenché la migration du gibier d'eau.

D'autre part la différence entre les appelants recouverts de peau et de plumes et ceux qui ne le sont pas n'est pas de nature à compromettre l'efficacité des leurres, compte tenu de la faible perspicacité des canards à faire la différence. On peut alors se demander pourquoi les amérindiens mettaient tant de soin à peindre leurs formes en joncs du rouge et du noir caractéristique du fuligule à dos blanc et à piquer de vraies plumes blanches pour en couvrir les flancs ? Peut-être avaient-ils observé que les oiseaux étaient d'avantage attirés par des formes réalistes parce qu'ils les chassaient le jour.


Des techniques de chasse mieux adaptées étaient connus des Amérindiens. La chasse avec des filets en combinaison avec des leurres, par exemple, se pratiquaient de deux façons. La première consistait à tendre des filets au-dessus des appelants, et la seconde à les remonter à la verticale, et lorsque les canards s'en approchaient, ils s'empêtraient dans les mailles. Autres exemple, la chasse au jet, avec javelot ou flèches propulsées à l'aide d'un atlalt ou d'un arc se pratiquait également à l'affût dans l'attente de l'approche du gibier.

Sources : "Lovelock cave by Llewellyn L. Loud        and M. R. Harrington"
Sources : "Lovelock cave by Llewellyn L. Loud and M. R. Harrington"

Outre les appelants et les têtes d'oiseaux de canards, d'harle et d'oies du Canada, un magnifique spécimen de propulseur en bois poli a été découvert dans la grotte. Aujourd'hui perdu pour la science, il a heureusement été réalisé en 1912 trois dessins de cet atlatl, ce qui a permis de sculpter un modèle très proche de l'original dans ses moindres détails. Le spécimen original mesurait environ 45 cm de long et était en bois (Sarcobatus vermiculatus), finement façonné et poli.

Propulseur ou atlatl - Illustration © Vincent Proust
Propulseur ou atlatl - Illustration © Vincent Proust


LE GIBIER


Fuligule à dos blanc / Canvasback                                                                                                                      Crédit photo © Adobstock
Fuligule à dos blanc / Canvasback Crédit photo © Adobstock


Les leurres trouvés dans une des nombreuses caches de Lovelock cave, représentaient le Fuligule à dos blanc (Canvasback). Pourquoi ce canard plutôt qu'un autre ? Sans doute parce qu'il était abondant dans cette région, de grande taille, et d'une chair exquise.

Abondant tout d'abord, même si à l'époque la répartition de l'espèce n'était pas tout à fait la même qu'aujourd'hui, tout comme le climat et le réseau hydrographique.

Par sa taille (50 à 60 cm), c'est un des plus grands représentants de sa famille, et il offre donc une quantité de nourriture plus importante. Comme beaucoup de canards plongeurs lorsque le fuligule à dos blanc s’envole d’un plan d’eau il court sur une certaine distance avant de s’élever, ce qui le rend vulnérable. Si il est gauche au sol à cause de sa grande taille et de ses pattes palmées plus importantes, dans les airs en revanche son vol est un des plus puissant, pouvant atteindre la vitesse de 120 km/h.

Le Fuligule à dos blanc est très prisé des chasseurs pour sa chair qui peut être délicate selon son alimentation. Il tire une partie de son nom du latin Vallisneria americana, une plante aquatique qui lui donne un excellent goût. Il se nourrit surtout le jour. Son régime, en grande partie végétarien, se compose d'une centaine de plantes aquatiques (potamot, vallisnérie, sagittaire à larges feuilles, riz sauvage, nénuphar jaune du Mexique, achillées millefeuilles, …), mais il se nourrit également de proies animales comme des insectes, des mollusques, des invertébrés marins, petits crustacés, escargots et divers poissons. Il peut plonger à une profondeur de deux à neuf mètres tout comme barboter en eau peu profonde en compagnie de ses congénères les canards de surface.


Leurre de canard Païute du Nord, Californie. Réserve de Still Water, Nevada.                                                        Joncs, peau de canard, plumes, cordelette. © Photo Daphne Palomar
Leurre de canard Païute du Nord, Californie. Réserve de Still Water, Nevada. Joncs, peau de canard, plumes, cordelette. © Photo Daphne Palomar


LES EMPAILLÉS : LES PREMIERS APPELANTS DE NOTRE HISTOIRE


    Un ami qui vivait à Mahajunga, une ville au Nord-Ouest de Madagascar, me fait part de l'habileté des sculpteurs locaux et des nombreuses essences de bois que l'on trouve dans cette région du Boeny. Je lui demande si un de ces artisans pourrait me sculpter un leurre de canard. Comme beaucoup de gens qui confondent "appeaux" et "appelants", et n'ont aucune notion de la sauvagine, il me semblait indispensable de fournir à mon ami quelques explications pour guider le travail du sculpteur. Quelques temps après, nous convenons d'un rendez-vous pour une visioconférence avec l'artisan. Il faut préciser qu'à Madagascar le salaire moyen est de 250.000 ariary malgaches, l'équivalent de 50 euros. La plus part des autochtones ont comme principale préoccupation de savoir ce qu'il mangeront le soir, et ne connaissent ni l'usage de l'ordinateur, ni ne possèdent de portable. C'est la raison pour laquelle quand Ramsey (Monsieur en malgache) Juvenal s'est retrouvé face à moi en visioconférence, j'ai vu dans son regard un étonnement certain. Il présenta le fruit de son travail à la caméra de l’ordinateur. C’était une peau de canard de basse-cour, fraîchement tué, habillant une forme en bois sculptée. En arrière plan mon ami avait un mal fou à ne pas exploser de rire en voyant ma figure décontenancée. Ce sculpteur avait en fait tout compris, en proposant une version la plus réaliste possible pour leurrer les canards. La situation était cocasse. La naïveté de l'homme et sa volonté de répondre au mieux à ma demande insolite étaient touchantes.


Comme le sculpteur malgache, les Amérindiens avaient compris 2300 ans plus tôt que la ressemblance est le critère principal d'un leurre de canard pour attirer ses congénères. Avec l'usage, la légèreté pour le transport, la flottabilité, la stabilité et la durabilité se sont précisées.




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SOURCES


• University of California Lovelock cave by Llewellyn L. Loud and M. R. Harrington - 1929

• Edward Sheriff Curtis Les indiens d'Amérique du Nord - Ed. Taschen - 1977

• Robert Claiborne Les premiers Américains - Ed. Time Life - 1973

• Ludovic du Faux Ces oiseaux qui ne volent jamais - 2021

• Roger Tory Peterson A field guide to the birds east of the rockies - Ed. Houghton Mifflin Company - 1980

• The Academy of Natural Sciences of Philadelphia & the American Ornithologists'Union - 2022

Ercole e Jo Gusberti - Notes historiographiques sur les appelants de la Mésopotamie à la fin du XVIIIe siècle

Gérard Rossini - Appelants de France, du Midi et d'ailleurs - Édition de l'Équinoxe - 1994

• ANCGE - Lexique spécifique à la chasse au gibier d'eau

 
 
 

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